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Blog Émo Earth

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De notre rapport à la mort, c'est à dire, de notre rapport à la vie

  • Photo du rédacteur: Émo Earth
    Émo Earth
  • 4 mai 2024
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 31 janv.

Car oui. De notre propre vision de la mort en général, de notre rapport à notre mort en particulier, va dépendre notre rapport à la vie. Je trouve ce titre formidable car très juste. Il n'est pas de moi, je me permets de l'emprunter à son auteur tout en le citant : Jean-Claude Serres


Et puis il y a ceux que l'on croise, que l'on connaît à peine


"Cet enfant, vous allez lui offrir la vie mais aussi la mort". J'avais 23 ans et j'étais enceinte de mon premier fils. Lorsque je suis rentrée à la maison, j'ai fondu en larmes. Mais que venait-elle de me dire là, cette professeur de yoga qui me préparait à l'accouchement ?!? J'étais choquée, certainement aidée par les variations hormonales. C'était, je pense, la première fois de ma vie que j'abordais le sujet de manière si intime. Il ne s'agissait plus de ce grand-père, mort quelques années plus tôt "de vieillesse", comme on dit parfois. Il s'agissait de mon enfant et non pas de le mettre juste au monde mais d'envisager qu'un jour il mourrait.


Non, je n'étais pas prête et pourtant cette aficionada de la posture du chien/chat venait de me faire un cadeau de vie : au rythme des premiers sourires, rires, mots et pas de mon fils grandissant, mon esprit s'ouvrait petit à petit à une nouvelle manière de voir et penser cette vie.


La vie c'est aussi la mort. La mort fait partie de la vie. L'ultime étape de la vie, c'est la mort.


De là, une manière d'éduquer cet enfant s'en est suivie. Je ne dirais jamais "il me fait les dents". Je ne le critiquerais jamais sur ses choix de vie. Cet enfant n'était pas ma propriété ; une distance, douce et respectueuse distance, était.


Nous sommes seuls face à la mort, nous sommes seuls dans cette vie. La manière de la traverser fait partie de nos choix, dont celui de s'entourer ou d'être une personne préférant la solitude.


Cette manière de voir la vie, et donc la mort aussi, n'est pas offerte à tout le monde, je l'avoue. Chez moi, elle n'a rien à voir avec une quelconque religion, j'aime le préciser.


Tout a une cause et une raison d'être


Peu de temps plus tard, cet apprentissage de vie m'a permis d'accompagner ma mère jusqu'au bout de la sienne. Ensemble, nous avons choisi sa tenue de scène, comme elle aimait plaisanter. Elle a pu me parler de ses peurs et ça aussi c'est un cadeau que de pouvoir partager ce moment avec un être cher. Ne vous m’éprenez pas, j'aurais préféré partager des instants plus joyeux. Mais face à ce qui ne peut être changé, autant accepté et s'adapter, plutôt que de gaspiller le temps qu'il reste à pleurer. Et nous nous sommes adaptées avec beaucoup d'amour.


Le jour de son enterrement, je souriais. Certains regards m'ont fait penser que j'ai choqué. Dans notre société, avec nos coutumes issues du christianisme, il est de bon ton de s'habiller en noir, d'arborer une expression triste, de pleurer et j'en passe. Peu m'importait, je souriais. Je savais qu'elle était désormais en paix, qu'elle ne souffrait plus et c'était ça mon principal. Elle est partie un 10 mars, avec le coquillage de mon premier fils dans sa main gauche.


Il faut prendre soin de notre mort et de tout ce qui l'entoure. Il faut s'y préparer avec actes d'amour pour celui qui part. Car ces actes d'amour sont aussi un cadeau que l'on s'offre pour "plus tard". Il faut pouvoir en parler, lorsque c'est possible pour celui qui se téléporte vers l'infini et au-delà. Ma mère me manque, j'ai passé plus de temps sur cette terre sans une mère qu'avec une mère près de moi. Pour autant, elle aussi m'a fait un joli cadeau de vie : elle m'a montré comment je voulais aborder ma propre mort. Je veux être transformée en cendres, être placée dans une urne qui sera enterrée pour devenir un arbre. Et mes enfants le savent.


Car la peur tue l'esprit


J'ai utilisé le terme "euthanasie" face à un chirurgien qui voulait opérer ma mère "parce que comme ça elle mourra sur la table d'opération". Certes, je comprends que ça pouvait être arrangeant. J'ai utilisé le terme "euthanasie" et j'ai une nouvelle fois choqué. Choqué des personnes qui n'avaient rien partagé avec ma mère. Choqué des gens qui s'en fichaient bien de comprendre qu'il n'y avait plus rien à faire, que la mort était la prochaine étape et qu'il était plus que temps d'arrêter les souffrances. Et puis j'ai rencontré cet infirmier qui aurait pu aller en prison pour avoir répondu présent, avec courage, délicatesse et discrétion. Je n'ai pas eu le temps de le remercier.


Aussi, vous comprendrez peut-être pour quelles raisons je suis, à mon tour, choquée lorsque je lis qu'une anesthésiste, encore une fois, est jugée pour meurtre parce que, sous la demande de la famille, elle a aidé une personne à ne plus souffrir.


Ceux qui sont contre l'euthanasie, ceux qui l'assimile à un meurtre, n'ont jamais vu le regard d'un être cher qui implore que ça s'arrête. On me dit souvent que je ne suis pas quelqu'un de "commun". Je le conçois, c'est le lot de toute personne qui a une vie "à part", celles qui se sont construites au milieu des tempêtes (oui, au pluriel, sinon ce ne serait pas "marrant", hein) et qui ont su s'accrocher aux jolies choses de la vie tout en se disant que le moins joli devait être utile.


La mort fait partie de notre vie. Rien ou si peu nous y prépare dans cette société où tout doit être sous contrôle et nos vieux regroupés dans des maisons. Mais ceci est un autre sujet. Peut-être en lien avec nos peurs ancestrales ? Et si nous considérions que la peur de la mort nous permet de lui accorder une sorte de présence, même contradictoire, en tant qu'espace d'évitement que nous passons toute notre vie à délimiter ? Et si nous adoptions / acceptions ce sentiment, que l'on peine parfois à partager, pour le transformer en quelque chose de bien plus constructif ?


Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l’esprit.

La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale.

J’affronterai ma peur.

Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi.

Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.

Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien.

Rien que moi.


-- Litanie contre la Peur, Dune, Frank Herbert



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