🎶 Swann et la musique du monde
- Émo Earth
- 29 oct.
- 5 min de lecture

Personne ne comprenait pourquoi Swann vomissait chaque fois qu’on prenait la voiture. On disait qu’il avait le mal des transports.
Mais lui savait : c’était l’odeur du plastique chaud de la banquette arrière, un peu comme du saucisson fondu, qui l’envahissait de part en part.
Personne d’autre ne la sentait.
Swann comprit très tôt que ses sens ne parlaient pas le même langage que ceux des autres.
Petit, il pleurait beaucoup et se bouchait les oreilles avec ses mains. Les adultes disaient qu’il était différent, avec un petit hochement de tête compatissant, quelque chose qui voulait dire :
"Cet enfant ne va pas très bien."
Mais Swann comprit très tôt que ce n’était pas lui qui était trop, mais le monde qui résonnait trop fort autour de lui.
Plus tard, il se tourna vers la musique. Comme métier car elle était près de lui depuis toujours, comme une compagne. Il ne voulait pas l’étudier dans les livres : il voulait la vivre et mieux la comprendre de l’intérieur. La musique le traversait comme la pluie ruisselle pour nourrir le pied du thym qu’il aimait rouler entre ses doigts.
— Sens, maman, sens !
Son enthousiasme face aux choses de la vie éclairait quiconque prenait le temps de l’écouter vraiment.
Swann entendait les ultrasons, les fréquences trop hautes, les oiseaux de la garrigue, les battements derrière les murs. Une fois, il retrouva un petit boîtier anti-moustiques que personne n’entendait sauf lui. Le son, si aigu qu’il en devenait invisible, le maintenait en tension. Quand il l’éteignit, son corps put enfin respirer.
Chez Swann, la lumière est douce, presque végétale, comme celle du sous-bois d’une fin d’après-midi. Il dit qu’il apprivoise l’ombre dans une société qui fait de la clarté une norme.
Un jour, quelqu’un lui demanda :
- Ce n’est pas difficile de vivre ainsi ?
- Ce n’est pas difficile, c’est intense. Le monde me parle plus fort, voilà tout.
Car en grandissant, Swann comprit que cette intensité était sa note à lui. Pas un défaut d’accord, mais une tonalité singulière. On appelle cela l’hypersensibilité - lui, il dit simplement :
- C’est ma musique.
🎶 Hypersensibilité : entre réalité intérieure et effet de mode
Le mot "hypersensible" circule partout : sur les réseaux, dans les rayons de développement personnel des librairies, jusque dans la publicité. Quand elle arrive dans une série TV, on peut dire qu’elle est devenue VIP. Je plaisante…
Mais que désigne-t-il vraiment ?
Comme le montre Alex Maignan (1), doctorant à l’EHESS, dans son étude Hypersensible ? Circulation médiatique et réflexivité pratique, la notion a connu une forte expansion médiatique à partir de 2019, bien avant d’être consolidée scientifiquement.
Les magazines de psychologie et les maisons d’édition du développement personnel s’en sont emparés, transformant ce trait psychologique en catégorie identitaire, parfois en produit. Résultat : le mot s’est étiré jusqu’à devenir flou.
Il y a donc un effet de mode, c’est indéniable.
Mais cela ne veut pas dire que la réalité n’existe pas. Les travaux d’Elaine N. Aron (2) et d’autres chercheurs montrent bien qu’environ 15 % des personnes présentent une sensibilité de traitement sensoriel et émotionnel plus élevée, c’est-à-dire un cerveau qui analyse plus finement les stimuli et réagit plus intensément aux signaux de son environnement.
L’hypersensibilité existe donc, mais elle ne se réduit pas à un label.
De plus, on confond souvent hypersensibilité, haut potentiel ou autisme léger, car toutes ces réalités partagent une acuité sensorielle ou émotionnelle.
Il existe bien des recoupements perceptifs :
Hypersensibilité (au sens de Sensory Processing Sensitivity, SPS), haut potentiel (HPI), et certaines formes d’autisme, sans déficience intellectuelle, autrefois appelées syndrome d’Asperger, présentent souvent :
une acuité sensorielle (sons, lumières, textures, etc.) ;
une forte empathie ou intensité émotionnelle ;
et une fatigabilité liée à la surcharge d’informations.
Donc, oui, ces réalités partagent une hypersensorialité ou hyper réceptivité commune.
Mais elles n’ont pas les mêmes origines :
L’hypersensibilité (SPS) est un trait de personnalité, pas un trouble : c’est une sensibilité de traitement sensoriel présente chez environ 15 à 20 % de la population, sans valeur pathologique.
Le haut potentiel intellectuel (HPI) relève d’une structure cognitive spécifique (QI > 130, mais aussi modes de raisonnement différents).
Les troubles du spectre autistique (TSA) sont des neurodéveloppements atypiques, avec des particularités dans la communication, les interactions sociales, les intérêts et la sensorialité.
Autrement dit : certains signes se recoupent, mais les causes et les fonctionnements ne sont pas les mêmes.
🎶 L’approche Émo Earth : vivre avec, pas contre
Les programmes Émo Earth partent justement de cette idée : retrouver la mesure intérieure, là où le monde impose souvent la sur-stimulation.
Ici, pas de test - quand tu l’es, tu le sais, tu le sens - pas besoin d’étiquette (ça gratte).
Plutôt des expériences :
Réapprendre à écouter le corps, le souffle, les sons du vivant ;
Exprimer ce trop-plein par le chant, la création, l’écriture ;
Apprendre à apaiser le système nerveux par la respiration consciente, la marche, et ses propres rythmes naturels (A) – ici on apprend à devenir autonome avec "tout ça" ;
Transformer la sensibilité en ressource d’attention à soi, aux autres et au monde.
Parce que la vraie question n’est pas "Suis-je hypersensible ?", mais plutôt "Comment puis-je vivre pleinement ce que je ressens, sans m’y perdre ?"
(A) Forme d’écologie intérieure : retrouver un tempo plus lent et régulier. On ne "décide" pas de se calmer ; on se sent suffisamment en sécurité pour pouvoir se calmer. C’est pourquoi des pratiques comme la marche consciente, la respiration lente, la musique douce ou les routines sensorielles simples - rituels de lumière, sons familiers, odeurs rassurantes - rééduquent doucement le système nerveux à retrouver un tempo apaisé. En résumé, un·e hypersensible peut retrouver un rythme plus lent et plus régulier, à condition d’allier : la conscience du corps, la sécurité sensorielle et émotionnelle, et la répétition douce de pratiques lentes (plutôt que des injonctions à "se calmer").
La sensibilité "hyper", c’est un état d’être - parfois une souffrance quand on n'a pas trouvé sa place, son mode d'emploi, sa manière d'en parler (ou pas, d'ailleurs). Parfois, elle est une force créatrice. Parfois les deux à la fois. On peut même apprendre à l’aimer, en trouvant et en affirmant sa position dans ce monde - il est bien assez grand pour nous tous. Quand elle se relie au souffle de vie, elle devient une création artistique à part entière. Soyez-en fier·e, et gardez-la bien au chaud, pour vous, comme une fidèle alliée.
Soyez un.e Swann.
📚 Pour aller plus loin - sources scientifiques et sociologiques
Maignan, Alex (2022) - Hypersensible ? Circulation médiatique et réflexivité pratique
👉 https://doi.org/10.58079/ua92
→ Analyse sociologique de la manière dont le mot "hypersensible" s’est diffusé entre médias, psychologie et développement personnel - le mot circule plus vite que la recherche.
Aron, Elaine N. (1997) - The Highly Sensitive Person : How to Thrive When the World Overwhelms You
👉 https://hsperson.com/books/the-highly-sensitive-person/
→ Ouvrage fondateur présentant le concept de Sensory Processing Sensitivity (SPS) et des outils pour mieux vivre avec une sensibilité accrue - C’est à partir de ses travaux que les études neuroscientifiques (Acevedo, Greven, Del Giudice) ont été menées.
Acevedo, Bianca P. et al. (2014) - The Highly Sensitive Brain : An fMRI study of sensory processing sensitivity and response to others’ emotions
👉 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4086365/
→ Étude en imagerie cérébrale montrant une activation accrue des zones de l’empathie et de la conscience émotionnelle - Preuve biologique que la sensibilité n’est pas imaginaire mais neurofonctionnelle. Très complémentaire à Aron.
Greven, C. U. et al. (2022) - Sensory processing sensitivity and somatosensory brain activation : A new perspective on sensory processing
👉 https://www.nature.com/articles/s41598-022-15497-9
→ Recherche démontrant une activité cérébrale spécifique dans les zones liées au traitement sensoriel - Actualise le modèle d’Aron avec des données neurobiologiques plus récentes et nuance la compréhension du SPS.
Del Giudice, M. et al. (2023) - Neurophysiological signatures of sensory-processing sensitivity
👉 https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnins.2023.1200962/full
→ Étude EEG (activité électrique du cerveau) identifiant des marqueurs neurophysiologiques propres au trait de sensibilité de traitement sensoriel (SPS) - C’est la confirmation la plus récente de l’existence du trait SPS dans le champ des neurosciences.



