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Covid, 4 ans plus tard. On en parle ?

  • Photo du rédacteur: Émo Earth
    Émo Earth
  • 11 sept. 2024
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 31 janv.

Récemment, un fait divers m’a profondément troublée. Une famille, qui a choisi de rester confinée pendant quatre ans après le début de la pandémie de Covid-19, se retrouve aujourd’hui face à la justice. Les enfants ne sont toujours pas retournés à l’école, et les parents, avec qui "aucun travail n'est possible", "tiennent des propos complotistes", "remettent en cause tout le système", dit l’article de presse locale. Résultat : ils sont condamnés à une peine de prison avec sursis. Cette situation met en lumière bien plus qu'un problème de comportements "complotistes". Elle révèle l’incapacité de notre société à répondre à ce type de souffrance autrement que par la punition.




Le but de la peine n’est pas de faire souffrir, mais de corriger.

. Platon, Les Lois, Livre IX, 862d




Pourtant, ce cas n’est pas isolé. C’est un exemple parmi tant d'autres des conséquences psychologiques durables de la crise du Covid-19 sur l'être humain. Alors que le monde semble être passé à autre chose, la réalité est que, pour beaucoup, la peur, l’anxiété et l’incertitude engendrées par la pandémie ne se sont pas simplement évaporées. Pour certaines personnes, ces sentiments sont encore aussi présents aujourd’hui qu’ils l’étaient en 2020. Et il est normal de se sentir ainsi. La pandémie a été un traumatisme mondial, et comme tout traumatisme, ses effets peuvent être profonds et durables.



La capacité de détruire est le reflet de l'incapacité à créer.

La société doit guérir les blessures qui empêchent les hommes de créer.

. Rollo May, concernant la créativité, la destructivité et le besoin de guérir les traumatismes.





Les effets psychologiques persistants du Covid-19


Au plus fort de la pandémie, nous étions submergés par un sentiment de danger. On nous a demandé de rester chez nous, d'éviter tout contact et de considérer chaque personne comme le porteur potentiel d'un virus mortel. Bien que la menace immédiate ait diminué, les cicatrices psychologiques, elles, demeurent. Certaines personnes ont développé de l’agoraphobie, de l’anxiété sociale, voire un trouble de stress post-traumatique (TSPT) en raison de ces longues périodes d’isolement, de peur, d'un vécu mortifiant.


Les mesures mises en place en France, comme le dispositif Mon soutien psy et la plateforme CovidEcoute, apportent un soutien nécessaire.


Pour autant, cette situation doit-elle être traitée exclusivement à un niveau individuel ?





Briser le silence, offrir le soutien adapté


Il est essentiel de faire émerger un autre discours : celui qui reconnaît pleinement les souffrances collectives vécues durant la pandémie de Covid-19. Des familles n'ont pas pu enterrer leurs proches dignement ; de nombreux étudiants ont vu leurs projets de vie bouleversés ; des professionnels de la santé, qui ont fait le choix de refuser l'injection, ont été marginalisés, traités comme des pestiférés... La liste des injustices et des expériences traumatisantes est longue, et il serait naïf de croire que ce dossier peut être traité de manière isolée, individuellement. Ces événements ont nécessairement un impact profond sur la société dans son ensemble.


Un proverbe français dit qu'une "faute avouée est à moitié pardonnée". Dans ce contexte, il ne s'agit pas d'atteindre un pardon total, mais plutôt de reconnaître la réalité des expériences vécues. Les personnes qui ont été victimes des "aléas" du Covid-19, celles qui consultent pour des effets psychologiques persistants, ont besoin d'entendre publiquement que ce qu'elles ont vécu était non seulement difficile, mais parfois violent et inacceptable. Les laisser gérer seules ces traumatismes, aidées uniquement par un professionnel de la santé en tête-à-tête, revient à dire que ces souffrances leur appartiennent individuellement. Or, ce n’est pas le cas.


Il est crucial de reconnaître que ces événements constituent une expérience collective. Une telle reconnaissance devrait être une force qui nous rapproche, plutôt que de nous diviser. Si jamais il y avait une situation face à laquelle nous aurions dû - et devrions encore - faire preuve de solidarité, c'est bien celle-ci : la manière dont tant de gens ont été malmenés et maltraités pendant cette période.


Ici, il s’agit de notre histoire commune. Cette prise de conscience collective est nécessaire non seulement pour guérir, mais pour réaffirmer notre humanité partagée et notre capacité à nous soutenir les uns les autres, même face aux plus grandes adversités.




Le collectif est ce qui permet à chaque individu de se dépasser lui-même, de dépasser ses limites propres, et de produire une individuation collective, c'est-à-dire un processus par lequel chacun se transforme en transformant le collectif. Le collectif et l'individuel sont en interaction constante - Ce sont des idées que développe le philosophe Bernard Stiegler dans son livre "Ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue".





Je ne connaîtrai pas la peur


Or, il y a la peur. Elle a pris racine dans nos vies et s'est lentement installée comme un "fond de commerce". La peur est devenue un outil de manipulation efficace : elle se vend, elle mobilise, elle oriente les comportements. Dans un monde où l'incertitude est omniprésente, la peur est exploitée pour influencer les choix, qu'ils soient économiques, politiques ou sociaux. Des gouvernements aux médias, des entreprises aux réseaux sociaux, la peur est utilisée comme une stratégie pour maintenir l'attention, provoquer des réactions immédiates et orienter les décisions de masse.

 

Cette peur omniprésente a un coût. Elle engendre un état d’alerte constant, une tension psychologique qui épuise les individus et les empêche de voir clairement. Elle réduit l'espace de réflexion, érode la confiance et crée des divisions là où il pourrait y avoir compréhension et unité. Plus inquiétant encore, elle fait naître une acceptation tacite d'un climat d'anxiété comme étant "normal".


En exploitant la peur, on désensibilise les individus au point qu'ils ne réalisent plus l'étendue de leur angoisse ni son impact sur leurs décisions quotidiennes et leur bien-être.

 

Il est donc essentiel de donner une voix à ceux qui ressentent encore cette peur, de leur offrir des espaces de parole et de soins adaptés à leur réalité. Il s'agit de créer des lieux où les individus peuvent explorer et exprimer leurs craintes sans jugement, où le traumatisme et l'angoisse peuvent être reconnus comme des réponses naturelles à des circonstances exceptionnelles. La peur, lorsqu'elle est réprimée ou exploitée, devient destructrice ; mais lorsqu'elle est exprimée et entendue, elle ouvre la voie à la guérison.

 

Il nous incombe de réapprendre à connaître la peur sans en être gouvernés. Repenser nos réponses à la peur signifie redonner du pouvoir aux individus, leur permettre de comprendre ce qui se passe en eux et autour d'eux, et de choisir consciemment leur chemin au lieu de réagir aveuglément à la panique.


À travers la sophrologie, l'art-thérapie, et d'autres pratiques de soins psychologiques, il est possible de transformer la peur en un moteur de croissance personnelle et collective, en une force qui nous pousse à rechercher le lien plutôt que l'isolement, à créer du sens plutôt que de se perdre dans le chaos.


Mais il s'agit aussi de créer une parole collective, sans couleur politique ni rattachement publicitaire. Une parole qui permettrait à chacun de s'exprimer librement sur les souffrances et les injustices subies, sans crainte d'être récupéré ou manipulé par des intérêts extérieurs.


Utopie ? Certes. Mais je le répèterai sans cesse : les utopies d'aujourd'hui sont les réalités de demain.


Ce désir de construire un espace de parole réellement libre est fondé sur l'idée que c'est dans l'échange collectif, sans filtre et sans arrière-pensée, que la guérison et la compréhension mutuelle peuvent émerger. Les grandes transformations sociales ont souvent pris racine dans ce que l'on pensait être des utopies. Le mouvement des droits civiques, l'abolition de l'esclavage, la reconnaissance des droits des femmes : toutes ces avancées ont commencé par des idées considérées comme irréalistes à leur époque.


Ainsi, créer une parole collective, honnête et dénuée de toute influence partisane ou commerciale, pourrait bien être l'un des défis les plus audacieux de notre temps. Et peut-être, en persévérant dans cet idéal, parviendrons-nous à transformer nos sociétés pour le mieux, en instaurant une culture du dialogue ouvert et de la solidarité véritable.

 




La litanie contre la peur de Dune (le film mais surtout, pour moi du moins, les livres de Frank Herbert) nous enseigne : "Je ne connaîtrai pas la peur." Non pas parce que la peur n'existe pas, mais parce que nous pouvons choisir de ne pas être dominés par elle.



Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l'esprit.

La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale.

J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi.

Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon oeil intérieur sur son chemin.

Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien.

Rien que moi.


Litanie contre la Peur du rituel Bene Gesserit


Dune, 1965

Frank Herbert






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