Lecture en France : entre tradition et transformation
- Émo Earth
- 8 oct. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 janv.
Il serait simpliste de penser la question de la lecture en termes binaires, car tout n'est ni complètement blanc ni totalement noir. La lecture, surtout avec l’essor des nouvelles technologies, se trouve à un carrefour entre tradition et transformation. Mon titre reflète cette dualité : d'un côté, la tradition de la lecture sur papier, et de l'autre, la transformation induite par les supports numériques, qui apportent de nouveaux formats mais peuvent aussi risquer d'encourager une approche plus superficielle de l'information.
Une aventure humaine à préserver
L’histoire de l’écriture et du livre est une aventure fascinante qui a défini le développement de notre société actuelle. L’apparition de l’écriture marque le passage de la Préhistoire à l’Histoire, elle permet de conserver la trace des événements et d’inscrire les peuples dans le temps historique. Sans l’écriture, il n’y aurait pas de transmission de savoirs, ni de progrès scientifique, ni de base pour nos droits actuels. Quant au livre, il a permis la diffusion des connaissances à grande échelle, ouvrant ainsi l'accès à la culture pour tous.
Sans ces fondements, nos sociétés ne seraient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Et si cela suscite un soupir de regret pour certains, qui déplorent les dérives modernes, il est essentiel de rappeler que c'est aussi grâce à ces outils que nous avons développé les idées de liberté, de justice et de démocratie, même si le chemin vers leur application reste parfois encore long et imparfait.

L' Épopée de Gilgamesh est la première oeuvre littéraire jamais écrite.
Elle est née, il y a 4 500 ans, à Sumer, au bord de l'Euphrate.
L'apprentissage, un enjeu de pouvoir
Historiquement, empêcher les peuples d’apprendre, de se cultiver et de lire a toujours été une arme pour les gouvernements autoritaires souhaitant maintenir leur pouvoir. Un peuple sans accès à la culture et à l'éducation devient plus facile à manipuler, à contrôler, et moins capable de questionner les injustices. Ce contrôle par le savoir est un mécanisme de protection pour les dirigeants, un moyen de limiter l’émancipation des masses.
Pour Paulo Freire, pédagogue et philosophe brésilien qui a joué un rôle majeur dans le développement de l'éducation critique, la lecture va au-delà de l'apprentissage des mots. Freire considérait l'éducation comme un processus de libération, où la lecture n'est pas seulement l'acte de déchiffrer des textes, mais celui de "lire le monde". Il voyait dans cet acte une prise de conscience permettant aux individus d'analyser leur réalité sociale, de comprendre les structures d'oppression et de participer activement à la transformation de leur société.

Aujourd’hui encore, le désintérêt pour la lecture et la culture affaiblit la capacité de réflexion critique de la population, rendant cette dernière plus vulnérable aux discours simplifiés et aux manipulations politiques. Cela montre que la lecture n'est pas seulement un loisir, mais peut-être avant tout un outil de résistance face aux dérives autoritaires. Je pense ici à "Fahrenheit 451" de Ray Bradbury, adapté en film par François Truffaut. Dans ce récit dystopique, les livres sont interdits et brûlés pour empêcher toute réflexion critique. La suppression de la culture permet au gouvernement de contrôler la population, illustrant ainsi comment l’éradication de la lecture mène à une société soumise, privée de pensée autonome.

« – Je ne comprends pas pourquoi on les lit, puisque c’est si dangereux ! (Clarisse)
– Précisément parce que c’est défendu. (Montag)
– Mais alors pourquoi est-ce défendu ?
– Parce que les livres ne font que du mal. »
Sans vouloir partir dans des discours qui peuvent paraître alarmants - je ressens un profond malaise face à l'idée que dépasser la pensée unique semble de plus en plus mal perçu - je me pose cette question tout en ayant déjà une réponse en tête. Je vous la soumets : nous laisser discuter librement sur les réseaux sociaux, pour le meilleur et bien souvent autour du pire, ne permettrait-il pas une aliénation des populations, un outil de manipulation et d'imbécilisation ? Tout comme dans "Fahrenheit 451", où le divertissement abrutissant remplace la culture véritable, l'utilisation excessive des réseaux sociaux pourrait nous éloigner d’une réflexion critique profonde, nous rendant plus vulnérables aux manipulations et aux discours simplistes.
Des jeunes toujours lecteurs
Contrairement aux idées reçues, 93 % des jeunes de 15 à 24 ans déclarent avoir lu au moins un genre littéraire au cours des 12 derniers mois, selon l'étude du Centre national du livre de 2023. Cependant, il est indéniable que les jeunes consacrent beaucoup plus de temps aux écrans (3h14 par jour) qu’à la lecture (41 minutes par jour). Mais, malgré cela, leur diversité de genres lus est en hausse, avec une moyenne de 6,9 genres, contre 6,3 genres pour les générations plus âgées. Ils lisent également via de nouveaux supports, comme les livres numériques et les livres audio.

Extrait "Les Français et la lecture en 2023", Centre national du livre (CNL) (1)
- 89 % des Français se considèrent lecteurs, marquant une reprise par rapport à 2021.
- 93 % des jeunes de 15-24 ans lisent au moins un genre littéraire, avec une moyenne de 6,9 genres, en hausse de 0,6 point.
- Les 25-34 ans ont vu leur taux de lecture bondir de 10 points depuis 2021.
- 93 % des femmes lisent régulièrement contre 85 % des hommes.
- Le nombre moyen de genres lus est passé de 5,7 en 2021 à 6,3 en 2023, illustrant une diversification des lectures.
Lecture papier et numérique : complémentarité ou menace ?
Bien que la lecture numérique gagne en popularité, il est essentiel de rappeler que la lecture sur papier offre des avantages cognitifs uniques. Des études, comme celles menées par Anne Mangen (2), ont montré que la lecture sur papier favorise une compréhension plus profonde et une meilleure rétention d’information. En revanche, la lecture sur écran, en sollicitant davantage la reconnaissance visuelle rapide et le multitâche, peut entraîner une compréhension plus superficielle. Cela ne signifie pas qu’il faille rejeter les supports numériques, mais bien de trouver un équilibre entre ces deux formats afin de préserver la richesse cognitive que seule la lecture approfondie peut offrir.
Des aînés tout aussi concernés
Les jeunes ne sont pas les seuls à voir leur temps de lecture diminuer. Les adultes et les seniors consacrent également une part importante de leur temps aux écrans, que ce soit à travers la télévision, les réseaux sociaux ou d’autres formes de consommation numérique. Cette transformation des pratiques culturelles affecte donc toutes les tranches d'âge, bien que la critique se concentre souvent de manière disproportionnée sur les jeunes.
L'impact des nouvelles technologies
Les nouvelles technologies - qui ne sont plus tout à fait nouvelles et qui ne cessent d’évoluer (3) - transforment profondément les pratiques culturelles. La montée des réseaux sociaux, du streaming (4) et d'autres contenus numériques fragmente notre attention et réduit le temps que l’on consacre à la lecture de textes longs et complexes. Cette tendance à consommer des contenus courts et rapides est amplifiée par le fait qu'environ 76 % des Français utilisent aujourd'hui un smartphone, devenu un véritable "couteau suisse" pour de nombreuses tâches, y compris la lecture. Toutefois, ces appareils, en raison de leur format et de leur ergonomie, ne sont pas adaptés à la lecture prolongée. Ils favorisent une consommation rapide, voire désordonnée, de l'information - particulièrement à travers des articles encombrés de publicités, où le fil de la lecture se perd facilement. Et ces transformations affectent toutes les générations.

Conclusion 1 : nuancer les perceptions de la lecture chez les jeunes
Les jeunes générations continuent à lire, mais dans des formats plus variés. Il est donc injuste de les diaboliser pour leur usage accru des écrans, alors qu'ils montrent un intérêt toujours vif pour la lecture, notamment via les nouveaux formats numériques. La baisse de la lecture papier chez eux doit être vue comme une évolution des pratiques culturelles, non comme un abandon total de la lecture. Encourager la lecture, sous toutes ses formes, reste primordial pour assurer la transmission des savoirs et de la culture.
Conclusion 2 : la nécessaire valorisation de la lecture sur papier
Cependant, il est crucial de reconnaître la valeur de la lecture sur papier, car elle favorise une réflexion critique et une compréhension plus profonde. Si nous privilégions la lecture numérique, souvent associée à des pratiques de multitâche et de lecture rapide, nous risquons de voir diminuer notre capacité à assimiler et à analyser des informations complexes. Cette tendance pourrait mener à une forme de régression intellectuelle, où la profondeur de la pensée et de l’analyse serait affaiblie. Il est donc essentiel de valoriser la lecture sur papier pour préserver la richesse de notre engagement cognitif et de notre développement intellectuel.
Sources
(1) "Les Français et la lecture en 2023", Centre national du livre (CNL).
(2) "Lire des textes linéaires sur papier contre écran d'ordinateur : effets sur la compréhension de la lecture", Revue internationale de recherche pédagogique, 2013 - A Mangen, BR Walgermo, K Brunnoick.
(3) "La technologie en 2025 : préparez-vous à la quatrième révolution industrielle", Pluralsight, article de blog.
(4) "Comment Netflix nous rend de plus en plus accro", BFM-RMC, actu tech.
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Pour rappel ou information, j'ai choisi d'utiliser la typographie Luciole et d'écrire en grands caractères afin de rendre mes livres accessibles aux personnes ayant des difficultés visuelles, ainsi qu'à celles qui rencontrent des difficultés dans la compréhension des textes. Je suis à la recherche d’un éditeur physique dans le département de l'Aude. Écrivant mon premier roman, je ne souhaite pas continuer avec l’auto-édition.
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